Cédric : Aujourd’hui, nous avons l’immense plaisir d’accueillir Victor Dumont, directeur marketing et hospitalité de Champagne Bollinger. Nous allons parler de la transformation Direct-to-Consumer de Champagne Bollinger. Victor, peux-tu te présenter et présenter la maison Champagne Bollinger ?
Victor : Je suis Directeur Marketing et Hospitalité de Champagne Bollinger. J’ai rejoint la maison en septembre 2021. Champagne Bollinger est une maison de champagne familiale, qui appartient à la même famille depuis maintenant 200 ans. C’est une grande chance et une grande opportunité de travailler sur ce type de marque quand on fait du marketing et de la communication. C’est un champagne assez particulier : on propose une expérience autour du fruit et autour d’un goût. On est avant tout des grands vins de Champagne et traditionnellement, nous sommes un champagne apprécié par les amateurs d'œnologie et de grands vins. On est spécialisé dans un cépage de pinot noir. On est une maison qui se caractérise par un engagement très fort de notre communauté et de nos consommateurs. On est une petite maison mais avec un attachement et une part de coeur qui est très élevé pour nos consommateurs. On a généralement autour de nous beaucoup de passionnés, une grande opportunité. C’est donc une maison pleine de contrastes, à la fois une dimension authentique et traditionnelle forte mais également des transformations importantes en cours sur pas mal de sujets, notamment des sujets marketing et de relation consommateurs.
Cédric : Pourquoi c’est si important aujourd’hui, pour une marque comme la vôtre, de se reconnecter à vos consommateurs ?
Victor : Je l’évoquais à l’instant, c’est dans l’ADN des maisons de luxe et spécifiquement de Champagne Bollinger. Sur le secteur du luxe et des grands vins, la connexion avec ses consommateurs est au cœur du moteur. Le nombre de clients est assez limité et ça fait partie de l’ADN de ces maisons d’avoir un lien direct avec leurs consommateurs. C’est un premier point plutôt historique.
Le deuxième point est une tendance plus récente. Le consommateur est de plus en plus engagé dans ses achats, quelle que soit la catégorie. On a tous envie de s’engager et de mieux comprendre les produits et services consommés. Les consommateurs sont de plus en plus intéressés par comprendre ce que revendiquent les marques et ce qu’il se passe derrière un acte transactionnel. C’est encore plus vrai dans l’univers du vin, le consommateur veut comprendre ce qu’il se passe autour du développement d’une cuvée.
Pour moi, l’importance de cette relation Direct-to-Consumer est que ça permet d’augmenter les interactions que j’ai avec mes consommateurs. C’est-à-dire que si je n’ai pas cette relation directe avec le consommateur, je me limite uniquement à une relation transactionnelle qui n’est pas si fréquente et je perds le fil et le contact avec mes consommateurs au day-to-day. L’objectif de cette relation directe est de pouvoir, entre deux achats de cuvées, entretenir le lien avec d’autres choses que du transactionnel.
Et le dernier point : cette relation directe est une opportunité de pouvoir avoir des coûts contacts extrêmement intéressants. L’autre option serait d’utiliser de grands plans média et des approches one-to-many. Quand on fait le compte entre ce que coûte un e-mail, une interface relationnelle à distance et ce que coûte un plan média international, on se rend compte que c’est beaucoup plus efficace d’avoir cette relation directe et d'investir dans des outils performants et puissants.
Cédric : Cette tendance au Direct-to-Consumer tu ne l’as vois que pour la marque premium ou tu vois ça de manière plus large ?
Victor : Non, je pense que c’est une tendance de fond, de l’engagement et du marketing consumer centric. Ça a toujours fait partie du modèle marketing du luxe, mais de plus en plus, quelle que soit la catégorie, on va vouloir mettre le consommateur au cœur des plans marketing, personnaliser la relation et apporter une dimension servicielle à l'approche transactionnelle. À mon avis, ce sont des démarches et des approches pertinentes quelque soit la catégorie. L’idée est d’intéresser le consommateur avec d’autres sujets, les convictions, en l’écoutant sur ce qui est important pour lui et en lui faisant vivre des expériences pour qu’il devienne un ambassadeur.
Cédric : Peux-tu expliquer le programme 1829 pour ceux qui ne sont pas encore membres du club et expliquer quelle forme ça prend ?
Victor : Quand je suis arrivé, il y avait 17 000 membres embasés et on travaillait avec des pushs emails, dans lesquels on ne parlait que des produits.
La transformation a d’abord été en termes d’outils, avec une interface relationnelle unifiée et structurée. On a déployé une application relationnelle qui intègre toute l’expérience Direct-to-Consumer de Champagne Bollinger et qui s’appelle 1829. On a refait notre site de marque, qui est une vitrine qui doit donner envie de télécharger l’application.
Ensuite, on a travaillé tout le programme relationnel en intégrant un outil CRM, en mettant en place toutes les campagnes et toutes les intéractions que nous voulons avoir avec les membres du club afin d’amplifier la consultation de l’application.
Le parti pris était d’avoir une proposition de valeur très claire sur ce club. Dès le début, nous avons travaillé sur la promesse du club. Cette promesse repose sur des blocs bien définis. Le premier est l’accès à du contenu exclusif. On a amplifié le contenu avec des portraits de membres de la maison, des propositions de pairing gastronomique, des éclairages sur le champagne.
Cédric : Du coup, c’est du contenu exclusif ?
Victor : C’est ça. La seule manière d’avoir accès à cette information est d’être membre du club. C’est un premier point de différence : si je veux comprendre cette maison, c’est uniquement sur le club.
Le deuxième bloc est autour de l’axe expérientiel. Le club 1829 est la porte d’entrée pour venir visiter la maison, pour avoir accès à des événements exclusifs comme des dîners de gala, des visites de parcelles iconiques. Si je veux vivre quelque chose avec Champagne Bollinger, c’est par l’application que je vais avoir accès à ces modules.
Le troisième c’est l’accès direct à des conseils et à des recommandations. Ce n’est pas un chat, il n’y a pas de réponses immédiates. On propose dans l’application, avec le module Intercom, de poser des questions aux experts de la maison. Si c’est une question sur le pairing, on va s’orienter vers le chef de cave. L’idée c’est d’aller chercher l’expertise au sein de l’application au travers de cette application.
Le dernier point intéressant et qui rend le club unique : on s’est très vite rendu compte que ce qui faisait le plus vibrer le consommateur c’était le côté transactionnel. C’était une découverte parce qu’on n’était pas dans une logique de faire du transactionnel dans ce club car on a un business BtoB et nous n’avions pas vocation à vendre en direct. Le consommateur a envie d’avoir accès à des produits exclusifs. On a donc intégré une quatrième brique à notre programme : la mise à disposition de cuvées très exclusives. Par exemple, nous avons récemment proposé aux membres du club 30 magnums du vin servi au mariage du Prince Charles et de Lady Di, c’était un R.D. 1973. L’idée n’est pas de faire de grosses ventes et devenir un e-commerçant mais de faire vibrer le club et d’avoir un avantage par rapport à d’autres programmes de fidélité. C’est ça qui crée l’excitation de ce club.
Cédric : Sur la partie transactionnelle, comment réagissent tes distributeurs quand la marque Champagne Bollinger se met à faire du DtoC ?
Victor : C’est un point très important, qui est toujours en cours de travail car la relation avec les distributeurs est stratégique pour Champagne Bollinger et il faut vraiment bien la piloter. Les mots clés sont :
- Transparence : J’ai toujours eu à cœur d’être clair sur ce qu’on propose et d'anticiper ce qu’on va faire.
- Pédagogie : Il faut expliquer pourquoi nous faisons ça. On n’a pas vocation à vouloir leur piquer des ventes ou à devenir e-commerçant. La logique du projet est d’avoir une relation directe avec le consommateur et faire bénéficier à nos distributeurs de consommateurs engagés et engageables sur leur marché.
- Être clair sur la stratégie : La partie transactionnelle sera toujours limitée et on restera sur des petites quantités. Ce sont des cuvées qu’on ne retrouve pas chez le caviste ou dans la distribution spécialisée, ce sont des cuvées oenothèques très spécifiques et qui ne concurrencent pas le business de nos distributeurs.
Cédric : Tu parlais de contenus exclusifs, vous avez fait du live shopping où vous présentiez certaines cuvées. Est-ce que tu peux nous faire ton retour d’expérience sur ce live shopping que vous avez mené dans l’application, pour présenter vos nouvelles cuvées aux membres de votre club ? Quel accueil ça a eu et quels conseils pourrais-tu donner aux marques qui ont envie de se lancer ?
Victor : Le live shopping donne une dimension très transactionnelle à ce qu’on a fait. Je retiens qu’on a intégré une dimension expérience à une dimension transactionnelle. On a donné l’occasion aux membres du club d’échanger, de dialoguer et de découvrir à distance une cuvée avec le chef de cave, le responsable du vignoble et de vivre une expérience vivante autour de ces produits. Il n’y avait pas un enjeu transactionnel immédiat très fort. Beaucoup de membres du club se sont connectés et on a pu échanger avec eux lors de ces lives. L’objectif était plus de leur faire toucher du doigt les spécificités de nos vins, de leur faire connaître des profils de la maison, de leur délivrer des messages clés sur ce qui était important sur ces cuvées. Il faut être lucide, on vend beaucoup plus ces cuvées quand on fait ces modules, ça accélère significativement la vente des cuvées qu’on propose. Ce qui m’intéresse quand on fait ça, c’est de proposer une expérience et de faire vibrer avec une rencontre, des échanges en direct. C’est ça qui laisse une trace et un souvenir fort aux membres du club pour en faire des ambassadeurs qui vont porter la bonne parole et témoigner de ce qu’ils ont perçu pendant ces moments. C’est une technologie qui fonctionne super bien, qui n’est pas très complexe à mettre en œuvre et qui fait la différence en termes de proximité avec la maison. C’est très positif.
Cédric : La notion de membership est très importante aujourd’hui pour travailler le sentiment d’appartenance et l’engagement des consommateurs. Il n’y a pas de média fait sur votre application, uniquement de l’organique. Ce qui confère un côté encore plus exclusif et précieux aux produits.
Victor : Au début, on n’avait ni une approche customer centric ni empathique envers le consommateur. À la base, on voulait faire un club très exclusif et se concentrer sur le haut de la pyramide - ceux qui consomment les cuvées les plus prestigieuses et les plus exclusives de la maison. L’application était fermée et il fallait avoir une bouteille de nos cuvées premium qui intégrait un code qui déverrouiller l’accès à l’application. On s’est rendu compte assez vite que, certes ça présentait le club comme quelque chose de très exclusif et ça renforçait l’envie de rejoindre le club, mais la réalité du consommateur est qu’il a autre chose à faire que s’embaser dans un club. Ce n’était donc pas pensé pour être fluide en termes d’expérience d’embasement et on avait un taux d'abandon du process très fort. Beaucoup de consommateurs voulaient découvrir l’application mais n’avait plus la carte ou leur code, on avait donc beaucoup d’abandon et de frustration.
Cédric : Comment mesures-tu le succès de ce programme, au-delà des ventes ? Quels sont les indicateurs que tu regardes, notamment sur la brand equity ?
Victor : Les objectifs du programme sont doubles. Le premier est un objectif quantitatif de membres du club. On a pour objectif d’atteindre 100 000 membres du club à horizon 2029. C’est un chiffre limité, l’idée n’est pas de faire un programme mondial et mass-market mais de sélectionner des bons consommateurs, pertinents. L’autre objectif est d’avoir des consommateurs engagés avec un taux d’engagement et d’activité, c’est-à-dire des consommateurs qui vont avoir une interaction avec nous dans les six derniers mois assez fort.